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la voix du masque
4 décembre 2010

La fabrique des images, chefs d'oeuvres?

fabriqueDrôle d'idée... voilà que je viens vous parler de l'exposition du musée du quai Branly "la fabrique des images" et mon discours me mène à évoquer la précédente exposition visitée, à savoir "chefs d'œuvres?" au centre Pompidou de Metz.
A priori peu de choses communes entre un accrochage à visée ethnographique et l'inauguration d'un musée d'art contemporain. Pourtant achoppement et divergences enrichissent les propos mutuels.

Il ne s'agit pas proprement là de masques, mais des contextes possibles dans lesquels peuvent naitre des masques rituels... ou masques d'exposition. Et quelques beaux spécimens tout de même.

LA FABRIQUE DES IMAGES
L'exposition, et ce pourquoi j'avais envie de m'y plonger, essaye de classifier les modes de pensée, de croyance et formes d'art qui en découlent, en 4 catégories, soulignant à quel point une œuvre ne parle pas d'elle même mais ne peut être envisagée que dans un contexte défini. En général tout ce qui m'aide à relativiser la culture dans laquelle je baigne me ravit. J'en attendais quelques clés synthétiques pour aborder les cultures autres.

Je ne sais si la tentative est vaine (toutes les cultures du passé et du présent en 4 groupes) pas aboutie, trop complexe ou a contrario trop simplifiée, mais à défaut de clarifier notre approche des œuvres, l'exposition m'a parue complexifier leur perception. En mêlant spiritualités, conception de l'être au monde, forme artistique, et le tout lié à une terminologie connue mais pas forcément dans le contexte proposé, l'on ressort perdu, voire brusqué et, plus grave, sans les clés de compréhension escomptées.

Pourtant ça commençait bien: au début du parcours une introduction résume très synthétiquement les catégories proposées, avec un séduisant effet type tableau à double entrée :

  • animisme: "façon de combiner les ressemblances morales et les différences physiques" (entendez: l'âme est aux animaux, plantes et éléments comme aux hommes)
  • naturalisme: "façon d'articuler les différences morales avec les ressemblances physiques" (comprenez: les hommes sont les seuls à avoir une âme mais ils partagent des caractères physiologiques avec les autres êtres)
  • totémisme: "façon de mettre en avant les ressemblances morales et les continuités physiques" (soit: un groupe est de même essence et de même substance que l'ancêtre totémique dont il est issu)
  • analogisme: "façon d'additionner les différences morales et les différences physiques" (en fait: tout est différent mais des ordres communs réunissent les particularismes)

Au delà de la joliesse de la classification, de la stimulation intellectuelle de ces définitions, et bien que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les définitions d'un dictionnaire commun, on perd le fil quand on voit que ne sont pas proposées les œuvres que l'on croit d'une catégorie dans celle ci... Exemple le plus frappant, les œuvres amérindiennes ne sont plus, ici, totémiques, mais animistes. Et les seuls totémiques seraient les aborigènes d'Australie. Une catégorie sur quatre pour un seul peuple du monde? Alors que par exemple l'analogisme (la notion la plus intéressante des quatre je pense, car ne faisant référence à rien d'autre de connu) englobe les cultures des continents asiatiques, sous-continent indien, Afrique et Europe - cette dernière scindée avec la lignée réaliste, bien entendu, qui est circonscrite et géographiquement et historiquement, contrairement aux autres cultures où l'histoire ne semble pas intervenir...

Bref je ne conteste en rien ces classifications, je n'ai pas les connaissances nécessaires pour le faire, et les définitions sont pertinentes à mes yeux, mais je reste dubitative sur les termes employés a fortiori dans le contexte forcément vulgarisateur d'une exposition: notamment le totémisme gagnerait à porter un nom adapté aux cultures aborigènes (pour le commun des mortels, y compris vous à 10 ans, le totem est lié à l'Amérique du nord!).

Je ne comprends pas non plus l'association de l'animisme au chamanisme. Toutes les œuvres présentées dans cette catégorie m'ont d'ailleurs parues conformes à ce que j'ai appris être le chamanisme, lié à "l'ancêtre" animal, alors que l'animisme, au sens où je le connais (je me trompe peut-être), serait liées à des rituels mettant en scène l'esprit d'ancêtres, voire de contemporains, humains symboliques et historiques et non forcément d'animaux. De fait les œuvres africaines, peu présentes, ne le sont d'ailleurs que comme analogistes et non animistes... (Je rappelle que dans le dictionnaire on place à côté de religion pour plusieurs pays africains le terme officiel: "animisme". Les voici reclassés?)

Et enfin, qu'advient-il de tout ce qui ne rentre pas dans ces catégories, surtout le monde contemporain occidental, n'existe-t-il pas? où l'invention de l'art "pour l'art" sortirait-il le chef d'œuvre moderne des classifications anthropologiques?

Si l'exposition a une qualité c'est bien de nous faire reconsidérer tous nos acquis! Elle ouvre des champs immenses de questionnement terminologique... on oublie les termes donc, et on se concentre sur le sens des définitions... ce qui n'est pas une mince affaire déjà, mais bien passionnant, et bien vite on calme les neurones du cognitif pour profiter du plaisir à voir de superbes pièces. Après tout, pas de catégorie pour l'admiration!

Les masques dits animistes sont (entre autres):

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Ils jouent tous sur l'indifférentiation homme-animal.

les masques analogistes sont:

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Ils mêlent des éléments variés par analogie à d'autres systèmes (par exemple macrocosme - ciel - et microcosme - corps humain-)

et c'est presque tout pour les masques, l'objet étant absent du totémisme et du réalisme, mais de nombreux autres chefs d'œuvre sont à apprécier sur place.

Et de CHEFS D'OEUVRES il était question, au centre Pompidou Metz pour l'exposition d'inauguration. Et dans chef d'œuvre, il y a ... chef, à savoir tête... et le conservateur du lieu n'est pas passé à côté.

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Si musée d'art contemporain soit-il, l'exposition a misé avec bonheur, sur la diversité, l'interprétation du chef d'œuvre au fil du temps et des cultures, sans catégorisation aucune. Les explications de chaque salle restent néanmoins claires, et l'on se plait à osciller du chef d'œuvre de compagnon à des décor d'artistes modernes, de l'artisanat au design de masse, de la production artistique "de bon goût d'époque" à des pièces reconnues comme exceptionnelles pour l'histoire de l'art, puis à la parodie contemporaine. Les chef d'œuvre d'architecture (maquettes) répondent au chef d'œuvre qu'est, aussi, la construction gracieuse de Shigeru Ban, qui sait mettre en valeur les chefs d'œuvre patrimoniaux de la ville, cathédrale et quartier impérial. Tout est mis à même niveau, sans piédestal ni courbette, et libre à chacun de trouver un objet plus essentiel que l'autre ou l'inverse.

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De fait, l'exposition arrive à rester agréable, pédagogique, accessible (effet de nouveauté, beaucoup de personnes qui ne vont jamais au musée ont vu l'exposition, et en ressortent ravis), mais aussi riche et sensible. Car elle parvient à ne pas parler qu'au cogito justement. Et c'est peut-être le propre d'un chef d'œuvre, que, malgré l'époque, le lieu, la fonction, la culture précise de sa création il peut parler au delà des espaces et des temps à d'autres humains, si dissemblables. Le spectateur d'une œuvre, en chef ou pas, en reste un co-auteur, et sa lecture appartient à sa culture propre, en subjectivité assumée.

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Cet étrange dernier masque, ci dessus, est composé par Patrick Neu en... ailes d'abeilles (et je précise qu'il y a beaucoup, beaucoup d'autres choses que des masques et des têtes dans l'exposition, mes photos restent ciblées sur mon sujet voilà tout)

Petit clin d'œil final, même certaines œuvres, s'exposaient... masquées

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En conclusion, j'apprécie particulièrement l'audace du centre Pompidou Metz de poser côte à côte ainsi œuvres majeures et moins connues, productions humaines de tous temps, lieux et finalités, au delà des présupposés et hiérarchies classiques de l'histoire de l'art. Il reste que l'on ne peut aborder chacune des œuvres de la même façon, car pour celles dont l'origine nous est lointaine on ignore (à moins d'être spécialiste) trop de choses du contexte dans lequel elle a été produite. L'important alors est de savoir... qu'on ne sait pas, pour l'autre, ce qu'elle est.

C'est ce à quoi s'attache la fabrique des l'images: la dernière salle vise à juxtaposer des objets assez similaires dans leur forme, mais qui appartiennent à des cultures différentes: le sens ne peut être le même, la valeur bien différente de celle qu'on perçoit de prime abord. L'esthétique, le sujet, la technique,ne sont pas des critères de jugement suffisants. Il faut considérer le mode de pensée du peuple dont l'œuvre est issue pour en percevoir l'intérêt. Malheureusement on n'entre pas dans une pensée étrangère en quelques mètres d'exposition...

Pour en apprendre plus sur la fabrique des images et approfondir le propos:

le blog de l'exposition

Des écrits (ici et) et conférences du commissaire d'exposition

informations pratiques pour y aller: le site du musée du quai Branly

Pour chef d'oeuvres?

le site du centre pompidou de Metz

Vous l'aurez compris, la paresse de ce début d'hiver m'a poussé à vous faire part de ma prose avec un article au lieu de deux, histoire de résorber l'immense liste de posts à finir pour nourrir ce blog... Si vous êtes parvenus jusque là, bravo! ... et à bientôt!

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