Sans masque
Le 16 décembre 2009, je suis allée voir Cédric Andrieux de Jérôme Bel au théâtre de la ville à Paris.
Le premier, titre et interprète de la pièce, est danseur contemporain ; le second est chorégraphe (à défaut de terme plus adéquat). J'en ai suivi le travail tant que faire se pouvait depuis 1995 (son spectacle éponyme ayant été un bouleversement théâtral majeur de ma vie de, pourtant assidue, spectatrice). La plupart des pièces de Jérôme Bel ont pour moi cette vertu d'être "un atelier" de déconditionnement. un désembrouilleur d'émotions. Il aurait pu, que, quelques quatorze ans après, je me sois un peu habituée au "truc". Bien, non.
Car de 'truc", chez lui, aucun, pourtant la pièce s'inscrit dans la lignée de 3 précédents portraits de danseurs (inauguré en 2004 par "Véronique Doisneau" à l'opéra de Paris) sur le strict même principe. C'est que dans ce théâtre (cette forme chorégraphique, cette composition performative... ou tout ce qu'on voudra) point de bluff, ni de démonstratif.
L'homme, dans ses vêtements personnels, se tient en avant scène. Le plateau est nu, l'éclairage en plein feux sans autre effet (enfin... si, un petit allumage salle). bref, "nu", il se présente et raconte immobile, d'une voix lente et pondérée, sa vie de danseur. Il ponctue de quelques exemples de danse, en silence: exercices d'échauffement, répétition, ou représentation; tout l'étrange travail de danseur en quelques gestes. Simplement, puisque c'est son métier de danser.
Le texte est ciselé, clair, sobre. doucement drôle, ce qui ne gâche rien. La voix plaisante nous porte sur cette histoire à cœur ouvert. Et c'est du fait même de l'existence d'un système, du respect de la pudeur, et de l'absence de tentative de réalisme... que la sincérité pointe. Il est dit des choses qui sont, sans jugement, sans pathos ni autre pré-mâchage émotionnel.
Comme bien souvent dans les spectacles de Jérôme Bel, une bonne partie de la salle part avant la fin (ils ont "compris" ça leur suffit), et même avec sa petite esclandre (forcément, ce chorégraphe s'acharne à ne pas faire danser les interprètes, à ne pas même créer un seul pas de danse, impensable, honteux, ce jour nous en étions, crise des budgets culture oblige, au voleur de subventions).
C'est donc pour les autres spectateurs que j'écris ces lignes: pour ceux qui, comme le parfait novice en danse contemporaine qui m'accompagnait, sont ressortis ravis d'avoir écouté un passeur de ce qu'est la danse, de l'avoir vue - la danse - et ressentie, au point de ne plus s'en sentir étranger. Aussi pour ceux qui, comme nous, sont repartis le cœur plus simple, et allégés de quelques masques.
Normalement je n'écris ici que sur les masques, mais si je déroge, pour une fois, c'était pour écrire sur ce que devrait être l'absence de masque. L'objet-travestissant n'est pas responsable de la fausseté sur scène - bien employé il peut même devenir un révélateur. Nous portons pourtant, à fortiori sur scène, bien des masques immatériels: ce que nous croyons devoir faire, ce que l'inconscient a intégré comme étant le théâtre (ou la danse ou n'importe quelle autre discipline), le conformisme social, la recherche d'effet, ou bien d'autres écueils... La démarche de l'artiste, normalement, tend à aller contre ces penchants faciles, mais il y a bien peu d'artistes, et pas tant de spectateurs partants pour l'aventure.