teintures des masques dogons
Comme je l'avais promis lors de mon article sur l'exposition DOGON au musée du quai branly (ici), je voulais vous faire partager un extrait d'un article de Michel Leiris dans le numéro spécial de la revue Minotaure de 1933 consacré à la mission Dakar-Djibouti (réédition ed. skira). Il est surtout question de comment les couleurs, particulièrement vives, des fibres et des masques dogons sont obtenus.
On l'ignore souvent, du fait que les "visages de masques" que nous exposons dans nos musées sont le plus souvent privés de leurs fibres et régulièrement trop anciens pour monter leurs couleurs d'origine, mais, pour la réalisation des masques en Afrique, la maîtrise des teintures est aussi important que la taille du bois lui même: les pigments, les graines et autres matières relèvent d'un travail savant et codifié. Si la sculpture est souvent réservée aux initiés les plus habiles ou à un professionnel (de la caste des forgerons chez les Dogons), la mise en place des fibres est réservé aux jeunes initiés. C'est ce que relate cet article.
"(...)les garçons qui doivent entrer dans la société coupent des tiges de pollé ou poulou (sisal), plante dite dyin kourou("plante de pierre" en langue secrète). Les fibres de cette plante servant communément à faire des cordes, les jeunes gens ne se cachent pas pour ce premier travail. Les tiges liées en fagots sont trempées dans les ruisseaux pendant environ dix jours. Une fois sèches, on les roule entre les paumes des mains frottées l'une contre l'autre afin de les débarrasser de l'écorce.
C'est aux nouveaux initiés qu'échoit ce travail de confection des jupes et bracelets de fibres qui, joints aux masques ou cagoules, composeront l'essentiel du déguisement ; le travail de fabrication des masques en bois de kapokier est réservé à des initiés plus anciens. Les opérations de teinture s'effectueront toujours dans le même ordre*: noir, rouge, jaune pour les vêtements ; noir, rouge, blanc pour les masques.
A Sanga Ogoldognou et Sanga Ogolda, la teinture des fibres en noir* s'opère en dehors du village, au ruisseau de Bara. On emploie pour ce faire des fruits de l'arbre bagala ou bala (servant habituellement à fabriquer le tannin) broyés et dilués dans l'eau. La fibre est plongée dans la teinture puis frottée avec la boue noire prélevée au bord du ruisseau. trempée à nouveau dans la teinture de bala, pour la journée ou pour la nuit, les fibres sont ensuite mises à sécher sur les arbres et, enfin, frottées à l'huile de sa. On recommence l'opération complète plusieurs fois jusqu'à ce que la fibre soit bien noire.
La teinture des fibres en rouge* s'effectue également en dehors du village, au lieu dit de Songolou. Le jour où se fait ce travail est dit anam pounya ("menstrues des hommes") parce que, de même que les femmes en règles doivent habiter des cases spéciales, un peu à l'écart des maisons ordinaires d'habitation, les hommes, après la journée de teinture au lieu dit songolou, doivent y passer la nuit au lieu de rentrer chez eux. Celui qui coucherait avec sa femme cette nuit-là ou seulement la toucherait s'exposerait à ce qu'elle avorte, au cas où elle serait enceinte. D'autre part, celui dont la femme est enceinte ne teint pas les fibres en rouge et porte pour la danse des fibres noires.
On emploie pour teindre la fibre en rouge des baies d'andyou banou (oseille rouge) décortiquées, les peaux de couleur rouge ainsi obtenues étant broyées puis délayées dans l'eau. Les fibres sont trempées quelques instants dans la teinture, puis mises à sécher à l'ombre.
La teinture en jaune* a lieu au village, dans les maisons de jeunes gens. On broie la plante gè(rè)lé, on la délaye dans l'eau, puis on ajoute du salpêtre. Les fibres sont plongées dans cette teinture pendant deux minutes environ et séchées ensuite au soleil.
La peinture des masques* de bois se fait au lieu dit de Songolou, le même jour que la teinture des fibres en rouge. Des bouquets de fibre servent de pinceaux. La teinture noire se prépare avec les fruits de bala, de l'écorce d'almi et des fruits de kamou, le tout broyé, délayé dans l'eau et bouilli ; on laisse décanter, puis on verse dans un autre récipient et on fait bouillir jusqu'à consistance de colle. Pour le rouge on emploie la teinture d'oseille ou la pierre rouge dite bana (oxyde de fer) qui, de même que les autres couleurs, sert aussi pour les graffitis ; elle passe pour être douée de remarquables propriétés magiques et médicinales. Le blanc est fait avec du riz pilé, délayé dans l'eau jusqu'à amollissement puis broyé et repris par l'eau ; on peut y mélanger des excréments d'un serpent tacheté.(...)"
* c'est moi qui souligne