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la voix du masque
18 juin 2013

Une journée imaginaire chez les Dogons: Festival de l'imaginaire

Dimanche 16 juin 2013, se tenait au musée du quai Branly, en partenariat avec le festival de l'imaginaire, une sortie de masques des Dogons du Mali, ainsi qu'une diffusion du film de Jean Rouch et Germaine Dieterlen: sigui synthèse (annonce dans le post précédent)

Tout d'abord, à 14h, le film, Sigui synthèse:

Sigui67-11Le Sigui est une cérémonie, ou plutôt un ensemble de cérémonies réparties sur 7 années en plusieurs villages de la zone habitée par les dogons, et qui a lieu tous les 60 ans. Le dernier Sigui a duré de 1967à1973. Autant dire que les témoignages filmiques de cette célébration sont rares. Le prochain sigui commencera en 2027.

Jean Rouch et Germaine Dieterlen ont filmé des étapes du Sigui tous les ans. Chaque année donne lieu à un film, Sigui synthèse étant l'assemblage, un peu raccourci (2h), de ces films.

La place du masque y est toute allégorique: si vous voulez voir danser les beaux masques Dogons ce sera dans le Dama D'Ambara des mêmes auteurs.

Lors du Sigui, les hommes (exclusivement) semblent célébrer une renaissance, hors de toute reproduction, d'eux mêmes, hommes détenant le savoir. Ainsi les étapes du Sigui symbolisent une mort, une naissance et un maternage jusqu'à l'âge de la circoncision (qui marque le début de l'initiation chez les dogons), mort d'une génération d'hommes renaissant en la suivante; d'un savoir se transmettant aux suivants ; une régénération de la société.

200000006090000002897Le masque est central, puisque central dans cette culture. Mais ici il l'est littéralement: de longs masques (4), la longueur d'un tronc d'arbre, sont posés, à certaines étapes du rituel (= état foetal/ entre mort et vie), dressés au milieu des hommes (ci contre au fond à droite de l'image extraite du film la caverne de Bongo, 1969). Il ne seront pas portés (ils ne sont pas portables). On pourrait penser à un symbole phallique, pour cette société masculine. Ce masque évoque les ancêtres transformés en serpent et le premier homme mort. Je vais tenter d'expliquer.

Si j'ai bien compris, Amma (le créateur) aurait fabriqué le premier couple humain à partir d'argile. Ceux-ci ont eu 8 enfants qui forment 4 couples-ancêtres dont sont issus les 4 lignages de tous les Dogons (et liés aux 4 éléments). Ces ancêtres alors vivaient très vieux, puis, ne mourraient pas mais se transformaient en serpents. Ils rejoignaient alors les esprits et le nommo leur enseignait la langue sacrée, le Sigui-so. Il en reste ainsi jusqu'à l'apparition de la mort, dû au fait que le sigui-so a été révélé à des humains non encore transformés en serpents ce qui était interdit. La mort leur vint et pour se faire pardonner il leur a été conseillé de célébrer le Sigui, notamment en taillant un immense serpent de bois, forme qu'aurait dû prendre le défunt primordial si le tabou n'avait été transgressé.

200000006090000002898Ici nous voyons 4 masques, représentant les 4 lignées, chacun avec une autre couleur dominante (les 4 éléments), L'interprétation habituelle parle du culte du premier ancêtre mort et transformé en serpent, ce qui correspond au culte du Lébé: le premier homme mort a été enterré dans une grotte. Des années après le peuple voulant le porter avec lui dans une migration aurait trouvé en sa place un serpent bien vivant, l'homme ressuscité: le lébé. Les migrants emportent la terre de cette grotte avec eux, chargée de pouvoir de régénération et s'installeront le long de la falaise de Bandiagara, fondant les principaux villages dogons, en implantant chacun un autel à lébé , sorte de pierre couverte de terre mêlée à la terre sacrée de la grotte. Ce culte permet les germinations, le renouveau des cultures. Je pense néanmoins que le lébé est d'avantage lié au cône de terre planté un baton en forme de serpent que l'on voit dans le même film (image ci contre avant d'y planter le serpent symbolisé en bois).

Ces explications ne sont pas dans le film. Dans la chronologie du Sigui, Les réalisateurs nous montrent qu'avec l'ancêtre masque, arrive la parole. Les anciens parlent au groupe masculin en  sigui-so. Plus tard, une fois l'étape correspondants à une naissance passée il n'y aura plus de masque matériel, mais les masques sont omniprésents dans le discours. Le sigui c'est les masques, peut-être même la mort et la vie des masques eux-mêmes. Je ne saurais en expliquer plus.

L'initiation des dogons étant une transmission de savoir (sur de nombreuses années), ceux-ci n'acceptent que peu de partager leur connaissances à un non initié. Même si Marcel Griaule a été initié, même si Germaine Dieterlen l'a été aussi, en tant que "soeur des masques", les explications qui sont en général données des croyances dogon ne m'apparaissent jamais comme très claires (même si je n'ai pas tout lu à leur sujet, loin de là). Une connaissance en pointillés, et en peut-être. Il faut dire que chaque étape de l'initiation (qui dure des dizaines d'années) apporte une autre lecture des mêmes symboles et croyances des dogons, une interprétation n'invalidant pas les autres. C'est une marque de respect pour cette culture que l'on profanerait sûrement (et simplifierait) en la dévoilant de manière trop limpide.

Le film Sigui synthèse place le spectateur dans la peau d'un observateur ignorant le sujet et découvrant, à une distance raisonnable, les coutumes. Le commentaire omniprésent décrit ce qu'on voit, en enrichissant de détails symboliques aidant à la compréhension, et traduit d'une même voix les propos tenus par les protagonistes, laissant parfois un doute sur qui parle. Mais ce qui se passe lors de cette grande fête rituelle n'est donné qu'à la fin, et encore de manière très sommaire. Le regard est neutre, sans sensation ni émotion, très factuel. On reste donc parfaitement extérieur à ce qui se passe. La place qui nous est octroyée n'est pas très confortable, celle de celui qui est en dehors et qui ne peut tout comprendre. C'est une grande honnêteté des réalisateurs, une posture qui sait rester scientifique. Mais on ne se sent pas directement plus savant en sortant!

 

S'ensuit à 17h la sortie de masques:

Les masques, ceux que l'on connaît bien des Dogons, apparaissent lors des danses de funérailles: le dama. Lorsque quelqu'un meurt il est très vite enterré, sans cérémonie publique. Sa couverture mortuaire (ou autre objet lui étant lié) sera l'objet d'un rituel quelques temps plus tard: un salut au mort. Deux à trois ans après, a lieu le dama, qui accompagne le défunt à passer du côté des ancêtres, ce sans quoi il pourrait nuire à la société. C'est cette cérémonie qui voit danser nombre de masques.

L'Awa de Sangha qui dansait lors de ce festival (un groupe qui intervient pour les dama, mais aussi pour les touristes venant au village de Sangha), a décidé de nous montrer un peu du premier rituel avant de commencer le dama lui-même. Ce qui nous est donné a voir est la partie publique et festive des rituels, qui en comportent bien entendu d'autres, privés.©Martin_Hess_MCM-IMG_0739

Ce rituel préliminaire comportait un parcours autour de la couverture par les musiciens et les chanteurs. Des chant et un discours rythmé d'une percussion métallique. Les chants et danses ont repris. Sans transition des masques sont entrés. je ne saurais dire quand a basculé le premier rituel au dama lui même. Le premier masque (la jeune fille peule, photo à droite) est sorti avec la couverture. était-ce la fin du premier "deuil"?

©Martin_Hess_MCM-IMG_0715Dans l'ordre sont apparus, la jeune fille peule donc, suivi de Satimbe,la soeur des masques (qui devrait être le premier à intervenir dans le dama), accompagnée de la jeune fille bambara (photo à gauche), 3 kanaga (le masque symbolique surmonté d'une double croix- photo en dessous à gauche) et le singe (photo à droite).©Martin_Hess_MCM-IMG_0722 Ce dernier est le seul a avoir une parure de fibres brunes ; tous les autres ont des fibres très vivement colorées. Suit le Sirige (masque maison à étages, visage stylisé surmonté d'une sorte de planche d'environ 5m de haut). Tous font une même danse, en se suivant selon un parcours précis puis se placent, le sirige un peu à part. Sirige, la jeune fille et le singe font une même danse puis sortent.

©Martin_Hess_MCM-IMG_0710C'est au tour des kanaga (photo ci contre)de suivre une ligne en dansant en traçant du sommet de leur masque une immense spirale tapant le sol au devant d'eux. Ce masque donne lieu à beaucoup d'interprétations. Il semble néanmoins lié à la création du monde, au renard et au désordre (le renard est le premier descendant d'Amma et de la terre, imparfait, incestueux, lié au désordre mais détenteur de la parole en suigui-so): " les masques Kanaga, d'une rotation violente du cou, touchent la terre de la pointe de leur masque comme dieu laissant tomber ses mains quand il fut fatigué d'avoir créé le monde et en même temps il représente le renard puni" (Jean Rouch, dans le Dama d'Ambara), cette forme de double croix pouvant être une représentation du renard primordial mort "les quatre pattes en l'air". La spirale décrite par le sommet du masque est symbole, entre autres, de vent, de la parole, du premier tournoiement du monde. La version "simple" voit dans ce masque une cigogne sur une tête d'antilope, marque du retour de la saison des pluies et donc de la fertilité de la terre. Une autre y montre Amma les bras vers le ciel relié à Amma les bras vers la terre, marquant qu'il est le créateur de tout, la forme circulaire du geste marquant les mouvement des astres dans le ciel. Dans tous les cas ce masque semble très important aux yeux des dogons.

Ils sortent et laissent la place au Sirige, le plus haut des masques. Sa forme en longueur le lie au lébé, et aux masques entrevus lors du Sigui (ci dessus). Il se penche en avant et en arrière décrivant du haut du masque un arc, symbole du lever et coucher de soleil, arc en ciel, course des étoiles dans les sept cieux superposés... Il sera suivi par un masque à échasse. Décrit dans le programme comme une jeune fille: "yagule", il ressemble pourtant au "teretana" ou masque-tourterelle, qui est je le crois le seul à échasses. Quoi qu'il en soit il fera une danse à larges ondulations du dos accompagnées de mouvements circulaires de chasse mouche vers l'avant.

©Martin_Hess_MCM-IMG_0756Suivra Satimbé, soeur des masques avec ses mouvements fluides entrecoupés d'accélérations. En suite la jeune fille Bambara, assez chaloupé, qui lève ses genoux haut. Le suivant devrait être la Hyène (photo à gauche) (mais sa pâleur m'évoque plutôt le lièvre, que j'identifierais pourtant par la suite). Ce masque marche avec deux bâtons de danse. Sa marche est lente, il se met à genoux, un genou au sol, fait des pauses, avance avec ses "quatre pattes" courbé sur ses bâtons, jetant des coup d'oeils assez expressifs, avant de s'enfuir.

Revient alors le singe, avec un bâton et un chasse mouche. son jeu est expressif, il se gratte, s'arrête, mange, tend de la nourriture au public, un enfant viendra d'ailleurs la chercher. Le masque est couleur bois sombre, mais ses yeux sont peint, dans les fentes, en rouge. Le jeune fille peule fera une danse plutôt sautillante, en jouant beaucoup des fibre autour de ses bras qu'il agite.©Martin_Hess_MCM-IMG_0818

Le couple suivant doit être le coq (photo à droite) et la poule si je suis le descriptif du programme. La danse l'évoque aussi, un peu sautillant d'un pied sur l'autre, un jeu de coudes qui s'ouvrent évoque des ailes. Vient ce que j'identifie comme le lièvre, avec un bâton de danse et un chasse-mouche. Son regard est d'abord vers le bas. puis il lâche ses attributs pour sautiller, se coucher effrayé au sol. il reprendra ses attributs avant de sortir.

La jeune fille peule avec l'homme peul(?) il a un bâton qu'il déplace selon un mouvement diagonal et une gourde. Elle fera mine de s'opposer à lui et tombe de fatigue. il la réveille avec le contenu de la gourde.

©Martin_Hess_MCM-IMG_0782Arrive a la suite un masque très coloré (blanc, bleu rouge noir) avec des sortes de cornes partant vers l'arrière, finalement assez proche de certaines antilopes, mais le programme n'en dit rien. Il a une percussion métallique à la main. il devance le guérisseur (photo ci contre), avec son chasse mouche qui lui sert à "bénir" le public, auquel il parlera en le traversant. (normalement un masque ne peut parler qu'en sigui so ou pousser de petits cris animaux). Pendant sa bénédiction le goitreux (photo ci dessous à gauche) occupe la scène, il fait tourner ses poignets, il boit, prend un bâton courbé pour sa danse. Le guérisseur bénit toujours la salle quand arrive le colporteur, haut masque blanc porté avec "chemise" blanche, besace et des armes aux mains. fait jeu de vouloir couper la tête puis une danse avec des mouvement de pédalage. Le guérisseur remonte sur scène, "bénit" les musiciens.

©Martin_Hess_MCM-IMG_0764Arrivent ce qui pourrait être un coq et une poule avec une coiffe de fibre, à la main une sorte de petit "bouclier" et un bâton courbe, ils poussent de petits cris et frappent dans les bouclier pour faire du bruit. une sorte de bataille qui siérait bien aux volatiles, même si je doute de cette explication. Le guérisseur est toujours sur scène, il se fait rejoindre par Satimbe, le "coq" qui vient de sortir, la jeune fille Bambara, le goitreux (photo ci contre), 1 kanaga, le colporteur, un autre kanaga. ils commensent une danse en ligne, avançant selon une forme ondulante fermée mettant en avant deux rangées. Reviennent ensuite le Sirige, puis le masque à échasses. Les dix se placent ne ligne face et avancent. Le masque Sirige arrive à danser et même sauter sans quasiment bouger son masque, c'est une vraie prouesse.Chacun sortira non sans faire une petite acrobatie.

On distingue plusieurs types de masques: les cagoules (en cauris) sont portés par les plus jeunes. Les plus avancés dans l'initiation portent les masques en bois. Ceux ci peuvent être un visage humain ou animal, ou pour d'autres (pour les plus importants?) un visage de masque stylisé surmonté d'une ou des effigies du personnage, animal ou concept que le masque incarne (ce jour il y avait Satimbe, mais on peut y associer les masques de guérisseur, les Kanaga, et Sirige). Une sortie de masques pour un dama peut en faire danser plusieurs dizaines, jusqu'à une centaine. Cette représentation est conforme à la structure générale de la danse de masques du dama: tous les masques se présentent en une danse commune se suivant selon un parcours déterminé. Chacun ensuite selon un ordre variable fait sa danse spécifique. Un final avec tous les masques à nouveau.

ci dessous une vidéo du même groupe filmé par la maison des cultures du monde

 

C'est incontestablement un beau spectacle, qui nous a été montré ce dimanche, coloré, vivant, impressionnant. Le discours d'accueil nous poussait à encourager les danseurs en représentation festive. j'ai été un peu gênée par cette tendance du public à taper binairement dans les mains quelque soit le rythme que danse le masque. j'aimerais avoir le ressenti des principaux intéressés, le rythme, en danse africaine étant généralement complexe et déterminant de la forme de la danse, l'entendre ainsi simplifié ne doit pas aider. A par cela et sûrement un manque d'explications, qu'il me reste encore à aller glaner, il y avait de quoi apprécier cette sortie de masques. Évidemment ce n'est pas un spectacle au sens où on l'entend, il n'y a pas de salut à la fin, et il est impensable de voir les danseurs hors masque (donc dans leur identité civile) alors que l'on sait qu'ils viennent de danser.

Il est bon de rappeler que pour les cultures africaines utilisant le masque, celui-ci est un tout: ce que nous conservons dans nos musées n'est qu'une "face de masque". Le masque inclut les fibres, le "costume", les accessoires, mais aussi les pas de danse, les instruments de percussion, le rythme et même au besoin les accompagnants de la danse. bref c'est un tout. Un masque ne peut et ne doit se voir "mutilé", c'est à dire autrement qu'en tenue complète et en mouvement tel qu'il doit être (et normalement au moment où il doit l'être... là, sur une scène de théâtre, il y a entorse à la règle). Aller voir ce type de représentation aide à comprendre ce qu'est un masque, plus que les trésors "morts" (et néanmoins superbes, je ne nie pas mon plaisir) conservés quelques étages au dessus dans le musée. Je ne peux qu'adhérer.

Merci au festival de l'imaginaire qui m'a fourni les photos de ce chapitre sur la sortie de masques dogons (droits réservé maison des cultures du monde Martin Hess photographe).

Pour aller plus loin:

Parmi les éléments consultés et disponibles sur le net je peux vous proposer:

une conférence de Germaine Dierterlen sur le Sigui

extraits (un peu au hasard, "grace" à google book) de masques dogons par Anne Doquet (j'ai consulté à partir de la page 129 pour le rapport aux mythes originels)

pour une étude plus poussée sur les nommo, le génie de l'eau

pour un descriptif synthétique de la culture des Dogons

Pour écouter une histoire de... Dogons longue tirade en feuilleton passée sur France Culture à partir du 18 février 2013 (en écoute pendant 1000 jours). Catherine Clément est une agréable conteuse. Néanmoins, on peut regretter que ce qu'elle dit des Dogons, ne soit qu'une vision orientée par ses lecture classiques (Griaule) et les dires de Sékou Dolo (J'avais parlé de leur livre "la mère des masques" ici ) son guide sur place. Ces émissions semblent avoir déjà été diffusées en 2006, laissant pour trace quelques controverses, mais malheureusement le détail des rectifications par cet ethnologue émission par émission n'est plus en ligne.

D'autres références dans l'article pour l'exposition Dogon du quai Branly en 2011  ici. ; Deux vidéos sur la fabrication des masques chez les dogons: la sculpture, la teinture.

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