Exposition" le rire et le sacré" "bouffons rituels et folle sagesse - Himalaya, Indonésie, Chine"
Une exposition thématique de masques et de marionnettes de toute l'Asie, et été et automne à Paris
Je vous présente pour cette rentrée mon choix parmi les masques qu'il m'a été donné de croiser cet été, et notamment lors d'une exposition, qui, heureusement, se prolonge cet automne. Deux galeries parisiennes croisées au hasard, offrant une réjouissante thématique, qui ne peut que donner le sourire. Voici un peu de ma (enfin mes) visite(s).
Quittons les grandes institutions muséeales et enfonçons-nous dans les ruelles de la rive gauche entre notre Dame et St Michel. Au hasard d'un trajet personnel, au milieu des touristes si nombreux en ce début d'été, j'ai été happée par une sobre affiche représentant un beau masque souriant (ci contre)et titrant "le rire et le sacré" Dans la vitrine, un masque du Népal dans la veine dont ceux dont j'ai déjà parlé. J'étais, ce qui est rare, en avance à mon rendez-vous, je suis entrée dans la galerie.
Je ne suis pas coutumière des galeries d'arts du monde, et bien que les masques de peuples dits premiers y soient assez courants, ce que j'y ai jusqu'alors vu m'est apparu par trop guidé par le commerce et le plaisir gratuit des formes, point tant par le sens de l'objet dans sa culture d'origine ou la mise en valeur d'une thématique qui aiderait les objets à faire sens. Cet a-priori implique que je n'ai jamais cherché à me tenir informée de l'actualité de ces lieux ; je ne suis pas collectionneuse.
Bref, dans la petite boutique quelques masques sous vitrine, d'autres au dessus d'un escalier menant au sous sol. puis en bas, là, une vraie richesse de masques (et marionnettes) de presque tout le continent asiatique, Inde comprise. Certains masques m'ont de suite plu, d'autres intriguée. Les cartels les présentant sont généralement riches d'informations que je n'avais pas le temps de détailler: je me suis promise d'y retourner, avec du temps et un appareil photo.
Samedi 13 juillet m'y revoici donc. Où ça?
Exposition" le rire et le sacré. Bouffons rituels et folle sagesse - Himalaya, Indonésie, Chine" (on pourrait rajouter etc)
Galeries Zelkova "le scorpion" et "le singe blanc"
46 (scorpion) et 69 (singe blanc) rue Galande - Paris 5è
du mardi au samedi de 14h à 19h (fermeture en août)
jusqu'au 26 octobre 2013
Deux galeries, donc, je commence par le singe blanc, le tout petit espace que je n'avais pas vu la semaine précédente. La vitrine et une étagère y présentent, clin d'oeil au nom de la galerie, des masques de singe, et en particulier de Hanuman. Sans doute les "singeries" du dieu peuvent le faire entrer dans cette thématique du rire et sacré, même s'il s'agit plus d'un petit bonus agréable qu'une partie intégrante de l'exposition. Les représentations y sont diverses. Mon choix:
masque de théâtre rituel populaire, Himachal Pradesh, Inde Himalayenne, début du XXe siècle
pour ses matières diverses (bois recouvert de peintures, poils, métal, textile) et le contraste expressif qui en résulte.
théâtre rituel populaire, Teraï, sud du Népal, début XXè s
pour, à l'inverse, sa sobriété qui laisse supposer un masque qui peut jouer une grande variété de sentiments. Un masque attentif.
Java Est, première moitié du XXè siècle
Pour là aussi ses matériaux (bois peinture peaux) et couleurs, sa grande bouche articulée. Le traitement a part des yeux et nez le fait paraître lui même masqué (peut-être un effet du temps moins présent à l'origine)
De l'autre côté de la rue, à l'enseigne du scorpion, point d'animal venimeux, il me semble, mais de quoi passer un bien plus long moment. Le responsable des lieux, Thomas Nys, m'explique l'idée et la démarche engagée pour cette exposition. Cette récente galerie d'arts asiatiques (et un peu plus) débute une programmation d'expositions thématiques dont "le rire et le sacré" est la première. Un catalogue d'exposition devrait sortir à l'automne.
Pourquoi ce thème?
L'idée de l'exposition a germé à partir d'une réflection sur les marionnettes indonésiennes (présentes dans l'exposition qui ne se limite pas aux masques), étant un art majeur (et sacré) en son pays et souvent mal considérées chez nous. Celles-ci présentent une multitude de personnages plus ou moins sacrés et plus ou moins drolatiques, l'un n'étant pas incompatible avec l'autre, au contraire.
En approfondissant le sujet, marionnettes et masques, et en l'élargissant à une large zone Himalayenne, et un peu d'extrême orient en plus de l'indonésie, Le galérise s'est avéré très sensible à ces cultures qui, contrairement à la notre, aime à montrer la complexité des êtres humains qui peuvent être à la fois bons et mauvais, sages et fous, nobles et grivois...Par ailleurs les masques "bouffons" de ces contrées lui sont apparus très proches, par certains aspects, de figures de carnavals européens anciens, comme de masques comiques africains, dans la forme parfois, mais surtout dans l'usage. (Par exemple leur utilisation lors de période de transitions saisonnières marquant un entre deux, en abolissant, le temps de la fête, les catégories sociales, mettant en place la subversion etc.) Il aurait eu un plus vaste espace à disposition il aurait d'ailleurs aimé confronter aux oeuvres ici réunies des masques traditionnels d'autres régions du monde, qui y font écho. Les cartels insistent sur les relations et similitudes entre les cultures, entre les pays d'Asie représentés, mais aussi avec le reste de la planète.
Comment voir que ces masques sacrés sont comiques, pourquoi ces masques comiques sont-ils sacrés?
Le propre de ces personnages comiques est un rapport au corps non idéalisé, voire caricaturé. Il est intéressant, par exemple, de regarder les dents, sur les masques comiques: quand elles figurent, elles sont souvent peu nombreuses et/ou irrégulière, comme une indication de la triviale condition humaine et sujet de moquerie. Même rois, dieux ou saints, ces personnages sont montrés dans leurs travers, leurs infirmités et l'étendue de leur trivialité organique. Ces cultures ancrent ainsi la spiritualité dans le concret et l'âme dans le corps.
ci contre:Yogin ou sadhou, ascète errant
Teraï, sud Népal, début XXès
Les squelettes ne sont pas absents non plus, comme une marque du plus extrême état de matérialité de l'humain (mais avec de bien nombreuses dents, eux, en général!). Ceux-ci représentent de la mort, souvent en contexte religieux, mais ayant une autorité de "maître", et pouvant jouer un rôle d'amuseur.
ci contre: Démon squelette
Théâtre laïc Aché Lhamo
Tibet début XXè s
Démon réduit à l'état de squelette, apprivoisé et transformé en esprit protecteur
Car c'est dans le contexte de la danse ou du jeu que ces masques prennent leur caractère tantôt sacré, tantôt comique, plus que dans les traits.
Précisons donc qu'une telle thématique corporelle s'accomode mal d'une simple exposition de "faces de masques": point de costumes ou coiffes associés, et moins encore de présentation (audio)visuelle des rituels dans lesquels ces masques s'incluent. Thomas Nys regrette également de ne pas avoir pu illustrer son exposition de photographies de masques, similaires à ceux présentés sur les étagères, mais en action dans leur contexte, et ce pour des questions de difficulté à aborder un matériel encore trop exclusivement réservé aux seuls chercheurs universitaires, ainsi que la problématique gestion de droit d'auteur sur les dites images.
En contrepartie il a cherché à identifier au mieux chaque objet, au risque d'avancer certains noms qui lui seront contestés. Chaque objet est donc accompagné d'un cartel qui le nomme, date, situe géographiquement, mais aussi, quand c'est possible, le décrit dans son contexte et son usage pour enrichir la compréhension de l'objet.
Que voit-on concrètement?
- Les masques Himalayens sont le plus souvent très sobres, utilisant la matière au plus proche de sa forme "naturelle" (bois, métal ou ...bouse de vache - ci dessous-)
Népal, première moitié du XXè s.
Ils présentent aussi des matériaux de récupération plus récents: par exemple celui-ci en métal de récupération.
Démon Lakhe
masque de la fête de Indra Jatra
Culture Newar, Vallée de Katmandou Népal, milieu du XXè s
Lakhe est un démon "apprivoisé" très populaire, auquel il manque ici l'imposante chevelure. Cette popularité et son usage festif justifient d'autant plus le choix du matériau de seconde vie.
- A l'opposé les oeuvres japonaises, chinoises, indonésiennes présentent d'avantage travail poussé de sculpture et d'application de couleurs et matières.
ensemble de masques typiques du Wayang Topeng balinais
En haut:
Siddha Karia et Topeng Tua
Bali, milieu du XXè s.
personnellement le personnage de gauche me fait d'avantage penser à Jero Gede
En bas:
Bondres
Bali, Milieu du XXè s.
Les Bondres sont des sortes de clowns d'une grande diversité.
remarquez ici que les masques entiers (de bandres) sont articulés, le masque central n'est qu'un "tiers de masque" comprenant front et nez seulement. Le Wayand Topeng est un théâtre parlant, il faut donc que les personnages devant s'exprimer oralement le puissent.
En général, des marques d'usure et d'usage "patinent" la plupart des oeuvres qui n'ont pas l'aspect "restauré" des objets de musée. Les masques sont relativement anciens, un siècle en moyenne.
Dans la plupart des cas les oeuvres sont présentées sans vitrine, on peut donc s'approcher, oublier les reflets voire demander à aller voir derrière etc, ce qu'un musée n'offre pas. Le plaisir de la visite n'en est que plus grand.
Ma sélection: J'ai dénombré près de 70 masques, je ne pourrais donc pas tout vous montrer. A la fin, pour les courageux qui serront arrivés au bout de ce post, j'ajoute les plus singuliers, à mon sens.
- Japon:
Dieu Sarutahiko (qui est aussi un Tengu pour ceux qui ont reconnu)
théâtre rituel Kagura
- Chine
Dieu du sol Dieu Tu Di Gong
théâtre populaire d'exorcisme, culture Nuo Chine du sud XIXè
Le rire du public est constamment sollicité dans le théâtre populaire Nuo comme participant de sa puissance d'exorcisme. Dieu parmi les plus importants de la religion populaire y assume en présence de son épouse le rôle de vieillard comique.
Dans la même veine, celui de l'affiche:
vieillard comique
masque de théâtre d'exorcisme Culture Nuo Chine du Sud XIXè
Le vieillard est proche de la mort, ce en quoi il rappelle que la mort est un aspect de la vie. Son statu d'ancêtre en fait un intercesseur des puissance du vivant.
Démon bouffon
théâtre populaire d'exorcisme
culture Nuo? Chine du sud
début XXè
- Himalaya/Inde du nord:
Gras-dkar, "démon blanc"
culture monpa, Arunachal Pradesh, Inde Himalayenne ou Tibet
première moitié du XXè siècle
Il pourrait avoir la même fonction que celle du chasseur du théâtre laïk tibétain Ache Lhamo, sorte de monsieur Loyal, mais aussi, sous le nom de démon blanc, chanter les voeux de maison en maison au moment du nouvel an. il serait identifié à un ascète errant.
Masque de bouffon rituel
Népal, début XXè
Il est toujours réjouissant de voir dans les masques de cette région comment la forme de visage émerge littéralement de la matière. Sûrement que, pour ces sculpteurs, le masque est préfiguré dans le bout de bois, plus qu'issu de leur art et imagination. Il en résulte un être (sur)naturel.
Bouffon
Théâtre populaire Hindouiste Ramlila
Inde du nord, XIXè
Avec cette bouche, il semble peu contestable que ce soit un masque qui parle (ou chante). Un masque que j'aurais très envie de voir porté.
- Indonésie:
Masque
culture Batak Toba
Nord de l’île de Sumatra, Indonésie
Barong Bangkal
Figure de théâtre d'exorcisme Barong balinais
Bali, milieu XXès
Qu'il ne soit pas dit qu'il n'y a que des têtes humaines dans cette exposition!
Félin
danse d'exorcisme
Java est, milieu XXès
Masque passablement abîmé (du fait de ses matières fragiles) mais qui garde une vraie expressivité.
Le démon Djakil (ou Cakil)
Figure du Wayang Topeng javanais
java orientale, début XXès.
Démon qui représente les pulsions intérieures négatives de l'homme assimilées à des forces naturelles potentiellement dangereuses. Il apparait également dans le Wayang Kulit.
Sa bichromie marque son ambivalence rappelle certains bouffons européens.
Terminons cette énumération de masques par pays comme elle a commencé: avec un long nez rouge:
Roi mythique Raja Mala
Masque du théâtre Wayang Topeng
Solo, java centrale, début du XXès
Et comme il n'y a pas que les masques non plus:
voici une figure de théâtre de marionnette Wayang Golek
Java est? fin du XIXès.
Enfin, comme annoncé:
- Mes préférés ou les plus singuliers: ce que je retiens:
Immortel taoiste(?)
Masque de théâtre d'exorcisme
Culture Nuo, chine du sud, début XXès.
ce mélange de sagesse et le sourire large laisse supposer un personnage dont l'humour et le comportement transgressif étaient preuve de sagesse, comme en est coutumière la culture chinoise.
Dans la lignée des masques hilares un peu plus haut, ce sage rigolard offre une sobre sculpture, agrémentée d'une inhabituelle coiffure, et surtout des paupières articulées. Il se dégage un vrai calme de sage de ce visage, et pourtant j'ose imaginer ce masque sautillant avec les paupières qui battent, ou "faisant de l'oeil" aux spectateurs.
Bouffon
Figure du théâtre masqué Wayang Topeng
Java central, début du XXès
Ce masque, mis en valeur dans l'exposition, ne ressemble à rien qui m'est connu. son modelé très fortement accentué le fait quasiment basculer dans l'abstrait, et pourtant je suis persuadée qu'il doit très bien jouer. J'aimerais savoir comment il est vêtu, comment il danse...
Le bouffon Pentul
Figure du théâtre masqué Wayang Topeng
Solo (Surakarta), Java central, Indonésie, fin du XIXès.
Un masque dont le nez se retourne, d'un côté il est proche d'un "pentul" traditionnel au nez fixe, par exemple celui-ci:
Pentul Figure du théâtre masqué Wayang Topeng
Java central, Indonésie, fin du XIXès.
De l'autre côté il a le nez fort long. ce qui n'est pas sans poser le problème de comment ce masque pouvait être porté. Si vous avez une idée, faites-le moi savoir! (un petit commentaire ci dessous)
Un grand merci à Thomas Nys pour son accueil, et le long temps pris pour me guider dans cette exposition.
Celle-ci durant encore jusque fin octobre, il est possible que vous entendiez la voix du masque en parler à nouveau d'ici là.
Exposition" le rire et le sacré. Bouffons rituels et folle sagesse - Himalaya, Indonésie, Chine"
Galeries Zelkova "le scorpion" et "le singe blanc"
46 et 69 rue Galande - Paris 5è
du mardi au samedi de 14h à 19h (fermeture en août)
jusqu'au 26 octobre 2013