Les maîtres de la sculpture de Côte d'Ivoire. Questions sur les arts premiers en regard à l'exposition du musée du quai Branly.
Les maîtres de la sculpture de Côte d'Ivoire, exposition au musée du quai Branly (du 14 avril au 26 juillet 2015).
Faire cet article sur l'exposition, les maîtres de la sculpture de côte d'Ivoire a été long, chargé de tant de questions, d'émerveillement, et... de douleur. De questions cet article en est le reflet, de l'émerveillement, Il s'est imposé au vu de la qualité et la quantité des masques d'une région fort circonscrite (côte d'Ivoire et quelques territoires limitrophes de cultures similaires). Quant-à la douleur, elle se situe sur le sentiment que cette exposition, à l'opposé de ses belles intentions, contribue à dévaloriser l'art qu'elle dit promouvoir, douleur, aussi, parce qu'il me manquerait des références pour argumenter ce qui m'est apparu comme une évidence. Je le ferai donc simplement avec mon bagage d'amatrice d'arts africains et de praticienne de sculpture de masques.
PRESENTATION DE L'EXPOSITION
A sa création , le musée du quai Branly affichait pour vocation de montrer les arts dits premiers comme des arts à part entière, au même titre que nos autres musées d'art occidental. C'est une exposition suisse, coproduite par le Rietberg Museum de Zürich et le Kunst-und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland de Bonn (et qui a déjà voyagé à Zurich, Bonn et Amsterdam avant d'arriver à Paris) qui remplit le plus littéralement cette intention première.
L'exposition se base largement sur le travail de l'ethnologue allemand Hans Himmelheber (1908-2003) qui s'intéressa dès sa thèse en 1935 au thème de l'artiste en Afrique, essentiellement dans la région de la Côte d'Ivoire. Il continua son travail, y associant son fils, Eberhard Fischer, ethnologue, un temps directeur du musée Rietberg de Zurich, et co-commissaire de l'exposition avec Lorenz Homberger, actuel directeur du même musée. Hans himmelheber constatant que le discours que les sculpteurs qu'il rencontrait tenaient sur leur travail ne différait pas de celui des sculpteurs européens, chercha à les faire considérer également. Le travail réalisé sur le terrain (par eux et quelques autres anthropologues) permit de rencontrer et donc identifier clairement un certain nombre d'artistes ivoiriens du XXè siècle, et leur œuvre. C'est la base de ce projet d'exposition.
A sa suite, un travail détaillé d'observation des détails stylistiques et techniques a été mis en œuvre pour distinguer au sein de chaque culture représentée (voir carte ci-contre) les travaux de tel ou tel sculpteur, qu'il ait été documenté ou pas. En résulte quelques noms réels, et beaucoup de « maître de... » suivi d'une caractéristique, comme les historiens de l'art l'ont fait pour les maîtres anonymes, eux aussi, des arts occidentaux du moyen-âge. Ainsi le maître des volumes arrondis, le maître de Bouaflé (son village) ou le maître d'Himmelheber quand nulle autre caractéristique que son « découvreur » ne ressort de l'étude de l’œuvre. L'attribution, comme pour toute autre œuvre d'art se fait sur des détails stylistiques et formels, mais aussi des études plus « scientifiques » comme la recherche de traces laissées par un défaut d'outil qui « signe » ainsi toutes les œuvres réalisées par le même outil, donc, potentiellement, par le même artiste. Le tour de force est donc d'avoir pu attribuer aux 330 œuvres de l'exposition (environ 200 à Paris) un sculpteur, qu'il soit nommé ou défini selon une caractéristique.
Le fait de s'appuyer sur la sculpture sur bois, permet de mettre en valeur le geste de l'artiste, une présentation détaille le modus operandi (étapes sculptées, vidéo) et expose les outils d'un sculpteur de l'ethnie Dan (Tompiere). Les autres arts/artisanats locaux sont aussi représentés, mais on se demande ce qu'ils viennent faire dans la cohérence de l'exposition.
En contrepartie, dans l'exposition, n'est faite quasiment aucune allusion à l'usage de ces sculptures (quelques mots sur un panneau à part présentant la culture Dan restent très évasifs), seules quelques vidéos d'époque documentent des danses ou sorties de masques, beaux témoignages, mais pas assez commentés (souvent juste le lieu de la captation et le nom du masque, dont le type n’apparaît, de plus, pas forcément dans l'exposition).
Pour ce qui est de la « sociologie » de l'artiste africain il n'y a pas plus : on apprend vaguement que certains étaient très connus et appréciés, au point qu'ils étaient amenés à voyager pour exécuter des commandes dans d'autres régions, ou, inversement, des commanditaires venaient de loin pour acheter une œuvre. Néanmoins la plupart ne semblent pas vivre que de leur art (il sont forgerons, chasseurs etc...). C'est là aussi à peine évoqué.
Côté scénographie, l'exposition reste très agréable à parcourir, assez vaste, claire, peu cloisonnée, peut être pas assez par endroit, (on file sans s'attarder dans les salles Gouro, Lobi... très large mais traçant un couloir entre des lignes parallèles, tirant vers les Sénoufo : impossible de s'y poser tranquillement face à une vitrine, de voyager comme on le voudrait, et comme on l'avait fait dans les salles précédentes.). J'apprécie la clarté, mais je reprocherais un trop de vitrines, de verre. Il semble que dans les précédentes étapes de l'exposition certaines œuvres étaient présentée sans vitrine, et ça aurait fait du bien : voir vraiment les patines se retrouver en vis à vis avec notamment les grandes statues sans jongler avec les reflets... bref se sentir un peu plus avec l'art que à côté. Une mention positive pour le principe de n'interdire la prise de photo que devant les œuvres dont le propriétaire l'a interdit et pas de toute l'exposition comme c'est trop souvent le cas dès qu'il y a des œuvres de collections privées. Ceci nous permet, amateurs et praticiens, de documenter ces œuvres rarement montrées, et d'illustrer richement un tel article.
Les Sénoufo ont les masques les plus grands de l'exposition. Ils sont « naturellement » à la fin de celle-ci (qui semble aller des objets petits aux grands ou plus spectaculaires), elle ouvre donc ainsi naturellement à la dernière salle consacrée aux sculpteurs contemporains où aucune œuvre n'est petite, et où il n'y a, bien entendu, pas de masque.
Pourquoi voir cette exposition ?
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la très importante collection d’œuvres, dont une très grande partie de masques, entièrement centrée sur une même région, et une forme artistique : la sculpture sur bois.
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Le choix, fort esthétique, des œuvres.
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voir des masques qu'on n'aura peut-être pas l'occasion de revoir : collections privées, musées divers, surtout Rietberg et Barbier Muller, et parfois lointains - Etats unis, Côte d'Ivoire...- et pas un (ou ça m'a échappé) du musée du quai Branly qui en possède pourtant de grandes quantités. (il y a une sculpture des collections françaises néanmoins).
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découvrir la personnalités de quelques sculpteurs du XXè siècle en Côte d'Ivoire
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se poser bien des questions sur notre perception de cet art/artisanat...
A quoi ne faut-il pas s'attendre ?
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comprendre à quoi servent les masques ou autres sculptures dans leur pays, leur fonction, leur intérêt.
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en savoir plus sur le regard que les artistes et utilisateurs de ces masques portent sur ces œuvres.
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Voire à valoriser l'art africain du XXè siècle au rang d'art mondial à part entière, comme annoncé dans les intentions des commissaires.
Je m'explique : Pour moi, appliquer une lecture artistique de ces sculptures correspondrait à mettre en évidence le sens des œuvres, le code de langage plastique choisi en fonction du sujet . Bref faire ressortir tout ce qui relèverait du sens, un fond en rapport à une forme, et ce avant sa fonction sans évincer celle-ci complètement, bref agir vis à vis de ces sculptures comme on le ferait d'un retable médiéval, par exemple.
Quand j'étais élève aux Beaux-Arts on me mettait en garde contre le joli (la forme sans fond) alors qu'il fallait viser (éventuellement) le beau au sens de ce qui tombe juste par rapport à ce qu'on veut dire. Dans l'exposition, on aperçoit les gestes du sculpteur, on s'initie à l'analyse des formes pour mieux distinguer les habitudes de tel ou tel artiste, bref tout ce qui prouve que ces personnes sont des faiseurs de formes en bois, formelles, jolies, donc de bons artisans. Mais quoi pour l'art, dans le sens de savoir ajuster « magistralement » la forme (juste, harmonieuse, forte...) avec le signifiant et le sujet ? Ce faisant, on ampute le sculpteur de sa pensée et la société dont il fait partie de sa richesse. Venant d'une société où l'art se veut maintenant avant tout conceptuel, cet attachement au formel pour évoquer ces arts lointains pourrait être ressenti comme une potentielle volonté de rabaissement.
GOUT ET CODES D'UNE HISTOIRE DE L'ART ?
Comme dit plus haut, les travaux de Himmelheber donnaient la parole aux artistes rencontrés, une parole proche de celle d'autres artistes. On suppose donc que pour ces quelques personnages au moins il serait possible de retracer une petite biographie, de les montrer en photo, de mettre en avant leurs choix esthétiques selon leurs dire. Et pourtant cela n’apparaît pas.*
Plus étonnant n’apparaît pas plus de continuité chronologique, ni de filiation entre maîtres et élèves identifiés. L'on aurait pu ainsi esquisser des « écoles ». Car c'est en comparant le comparable qu'on met en relief les différences (donc deux sculpteurs de même époque et de même région, voire s'étant côtoyé) et ainsi juger de la singularité de chacun. Bref, on aurait attendu un début d'histoire de l'art ivoirien.
- Géographies
A l'origine des explorations coloniales, les pièces qui débarquent d'Afrique en Europe ne portent aucun détail de leur origine, pour être vendues comme objets de curiosité avec des mention évasives (pas d'époque, un lieu très flou (pays), pas de nom d'artiste, bien sûr). Il semble que ce soit d'avantage un "protectionnisme" commercial qu'un déni de l'artiste, mais l'effet est le même.
Il aura fallu bien du temps pour donner d'abord un lieu d'origine, puis une fonction à ces œuvres (études ethnologiques). Cela a donné plus une géographie des arts africains qu'une histoire.
De plus, la géographie arbitraire des frontières ne correspond pas à celle des ethnies (d'où des œuvres du Libéria, etc.). Mais la répartition par ethnie reste quelque peu théorique aussi, d'autant que les échanges culturels sont nombreux: par exemple, les Baoulé ont emprunté aux Gouro leur culture des masques...
- Histoire des arts
Le pays s'est construit de différents peuples, chacun étant vecteur de cultures distinctes qui se sont plus ou moins mélangées. Il n'y a donc pas un art de côte d'ivoire mais une évolution de styles selon les régions et l'évolution de l'histoire. Initier une « histoire de l'art » montrerait selon les époques, la part de l'influence des colons (sans eux, pas de « maître des ombrelles » par exemple...), de la part de la mode de l'époque (celle du sujet : souvent sensible dans les coiffures, dans l'adaptation des dents peut-être, dans les motifs scarifiés parfois..., mais aussi celle de la sculpture elle-même) bref du contexte « extra-colonial ».
Mais il semble que la seule histoire des arts dits « primitifs » est celle des échanges que ceux-ci ont entretenu avec les européens et leur art. De fait, elle se confond généralement avec l'histoire de leur disparition, réelle ou supposée, via la dégradation progressive, d'un art rêvé "pur" à un état "premier" (vu comme hors de l'histoire et du temps) vers un artisanat dégénéré, voire totalement disparu.
Ainsi l'on insiste (dans le catalogue et en général, pas dans l'exposition elle même) sur le fait que l'engouement pour l'art africain a poussé les sculpteurs à former des ateliers de fabrication en série de copies (par exemple, des ateliers en pays Gouro se sont spécialisés en «art du Gabon»... ), d'où la mauvaise presse des arts africains après 1970. Mais l'art découvert au début du XXè siècle par les explorateurs du continent n'était sûrement pas identique à celui du siècle précédent, tout comme l'art utilisé sur place de manière plus récente ne l'est pas des chefs d'oeuvres qui ont été collectés il y a 80 ans. Ne nie-t-on pas un peu trop facilement l'évolution des arts dits traditionnels ? Et donc leur histoire ?
Ces civilisations n'avaient pas d'écriture donc pas d'histoire (à notre sens du terme). Elles vivent souvent sous un rythme où le temps est circulaire, vécu dans une sorte de stabilité. Nous les avons, le croyons nous, emmenés à notre suite dans notre course à l'évolution et au progrès, donc dans une histoire à temps linéaire. Ils se doivent donc, à nos yeux, de ne plus exister comme avant. Mais que nous dit qu'il n'y a pas d'évolution dans les sociétés cycliques ?
Dans les cultures orales il paraît que la « redite » ne doit s'envisager qu'avec un apport personnel, une revivification de la parole répétée, pour la rendre actuelle, vivante. Il en est donc de même pour les arts, le modèle se devant d'être réinventé à chaque fois, et non copié. Cette réinvention perpétuelle m'apparaît comme ce qu'il faudrait étudier dans une « histoire des arts premiers ». Cela demanderait à réviser nos références, sans doute trop attachées à la "création", qu'à la "réinvention"...
L'art « traditionnel » aurait-il disparu du jour où il a commencé à se vendre ? Cela reste peu probable, même si, comme partout, l'exode rural et la mondialisation limitent la perpétuation des traditions locales, il semble qu'il y ait toujours des rituels masqués en Côte d'Ivoire, donc des masques, et sans doute bien d'autres sculptures. Seulement elles ne ressemblent pas tout à fait à celles de l'exposition, "car l'art se serait dégradé". Au nom de quel jugement ? De quelle comparaison avec l'art passé n'auraient-ils pas dû évoluer ? Les méprisés de cette histoire ne sont-il pas les sculpteurs actuels chargés de perpétuer l'art des masques (et autres) dans leurs communautés rurales ? Eux n'existent tout bonnement pas aux yeux de ces « historiens ».
La salle contemporaine qui clos le parcours montre des artistes contemporains « d'exposition », ayant emprunté le style comme la fonction muséale de l'art « nord-occidental ». Je ne critique pas là les artistes représentés (Jems Robert Koko Bi, notamment, est un sculpteur remarquable**), mais le décalage, je le crains volontaire, entre les œuvres du passé dont on nie l'usage et le sens dans leur société, et un art contemporain d'exposition.
- Goûts
Les grands maîtres identifiés sont, forcément, ceux dont l’œuvre a été ramenée par des occidentaux dans la période coloniale et qui peuplent les musées et collections privées de nos pays. De fait les grands maîtres sont ceux dont l’œuvre a croisé les « collecteurs » d'objets ethniques et dont l'esthétique a le mieux correspondu au goût européen de leur époque. Le choix de la région de la côte d'Ivoire n'est d'ailleurs peut-être pas fortuit : les formes que l'on y trouve sont souvent assez réalistes, et offre notamment des visages doux, plutôt plaisants. Et, bien entendu, ce sont les masques de visages féminins qui sont le plus représentés (Deanglé chez les Dan ; masque de Gou chez les Gouro... ), qui ne correspondent pas forcément aux plus produits et utilisés à l'époque dans ces ethnies.
J'ai entendu dans l'exposition parler d'art cubiste, mais aussi de masque asiatique... Par manque d'explication, lors de la visite, chacun est ramené à ses propres références, et le manque de contextualisation limite l'échange culturel attendu. D'autant que : "formes cubistes", "lignes épurées", "stylisation des formes", "libertés par rapport à la représentation anatomique"... en un siècle (colonial) c'est peut-être l'art de l'Afrique qui a changé le nôtre, bien plus que nous n'avons changé le leur. Dans ce sens ce sont « nos maîtres » de la sculpture de côte d'ivoire que l'on vient admirer ici, pour ce qu'on a appris d'eux, hissant ici les formes, là le trait, reconnaissant en eux Picasso, ou Brancusi. Quand pourra-t-on les regarder comme, non une part de nous, mais dans leur spécificité ?
Car il n'est pas fait allusion au goût africain, ni de ce qui fait pour eux (et a fortiori pour eux à l'époque) une belle statue, un bon masque. De plus, ce dernier n'étant pas une sculpture à but ornemental, mais une partie d'un tout qui est un être qui joue, danse, remplit une fonction dans un cadre déterminé, le bon masque n'est donc pas forcément le plus joliment orné, le plus finement sculpté, mais sans doute celui qui traduit de manière le plus évidente l'entité qu'il incarne. Et le goût local, ainsi conditionné par d'autres éléments que ceux influençant notre jugement, pourrait différer grandement du notre. En tous cas je peux le supposer. Mais rien ne permet de saisir cela.
Le comble du déséquilibre des cultures exprimé par ce projet, me semble être que des conférences du musée du quai Branly ont été retransmises dans les grandes villes ivoiriennes à grand renfort de moyens pour expliquer à ces gens, il est vrai, urbains et souvent coupés de la vie traditionnelle, que leur art est un Art... pourquoi pas des conférences retransmises depuis la côte d'ivoire vers la France et les villes ivoiriennes pour nous permettre de comprendre le regard des locaux sur cet art ?
L'ARTISAN OU L'ARTISTE ?
L'un des buts recherchés, et atteints, de l'exposition, est de sortir l'art africain d'une approche trop folklorique, celle qui nous fait penser que tout est « fétiche », tout est lié à un sens rituel, dans une forme immuable ; ce qui nierait l'agrément de l'ornement pour le beau, comme le geste de l'artiste qui ne fait que traduire sa vision des choses. C'est appréciable, et nécessaire de nettoyer ces idées toutes faites et de laisser sa place à la créativité de l'humain. Néanmoins si c'est pour nier la présence contraignante du sujet, de l'usage et du sens c'est tout autant passer à côté de l'art africain : il aurait fallu, très vaste travail, certes, démontrer précisément la place de la forme codifiée de l'apport personnel pour chaque objet.
La culture ivoirienne, comme la plupart des cultures traditionnelles populaires du monde doit être beaucoup plus « holiste », et l'on doit beaucoup moins y séparer que chez nous la vie et l'art, la fonction et l'ornement. Dans toutes les cultures il y a (a eu) des artisans créant des objets de la vie courante ou sacrée avec le même soucis du détail, de l'ornement. Ces hommes et femmes ne signent pas. Ils sont au service de l'objet, et d'ailleurs les personnes qui les utilisent et admirent savent très bien qui les a fait, donc à quoi bon noter son nom ? Pour ce qui est des arts sacrés, il est généralement jugé impensable de mettre ainsi le nom d'un simple humain sur une œuvre destinée à « plus haut qu'eux » (c'était en tous cas le modèle dans l'art sacré chrétien d'avant l'invention, tardive, du statut d'artiste) et la hiérarchie entre artiste et artisan n'existe pas dans la majeure partie des cultures, l'objet utilitaire et l'objet décoratif n'ayant pas de statut particulier l'un par rapport à l'autre. On fait des choses qui ont une fonction et/ou un sens, et on les fait bien, on y met son savoir faire, son talent et son goût. Les œuvres qui en ressortent ne sont pas moins belles ni même moins artistiques, que celles signées, ou reconnues comme émanant d'un artiste.
Qu'en est-il de notre rapport, ici, à ces art-tisanats ? Le sculpteur de masque de scène, en Europe, n'a pas de statut reconnu. Les artisans les refusent puisque c'est un métier de spectacle, les métiers du spectacle ne le reconnaissent pas car ce serait pas un métier à part entière (tout juste un accessoire ou une prothèse de maquillage), les artistes l'ignorent car c'est un objet fonctionnel... et ainsi de suite. Aucun statut officiel pour notre métier. Du coup voir une exposition qui tente, même assez vainement et maladroitement, de prouver que le sculpteur de masque est avant tout un sculpteur, donc un artiste, pourrait être assez rassurant pour nous !
Mais cela souligne surtout un amalgame et une complexité dans les termes. On dirait que pour beaucoup, l'artisanat serait une répétition à l'infini du même, alors que l'art laisserait seul libre champs à l'invention et donc aux différences entre individus et les écoles. Ce faisant, ne confond-on pas artisanat traditionnel, et manufacture de masse? Ne projette-t-on pas encore notre vision industrialisée du monde sur ces peuples ? Ne nie-t-on pas « l'entre deux » (on appelle parfois ça l'artisanat d'art...) ? En cultivant ce « manichéisme », n'aide-t-on pas plutôt les collectionneurs publics ou privés qui voient ainsi leur trésor valorisé (c'est de l'Art, plus des arts populaires ou objets ethnologiques, les « vraies » œuvres, rares, car issues d'une époque « bénie » de l'art africain qui se serait arrêtée net avec la décolonisation. Et avec des artistes identifiés, c'est tout un marché qui se justifie) ?
Au final, j'ai l'impression un peu amère d'une exposition exceptionnelle, arrangée pour la marchandisation de l'art. Mais elle aura eu le gros avantage d'affirmer un décalage du regard sur la présentation des arts africains, et donc de faire émerger nombre de questions sur notre rapport aux arts premiers et le moyen d'imaginer une véritable histoire de ces arts.
* Un livre (en anglais) existe : Dan artstis: The sculptors Tame, Si, Tompieme and Sön – their personalities and work, par Eberhard Fischer (commissaire de l'exposition) Il retrace la biographie de 4 sculpteurs Dan, les interviews faites d'eux, les images d'eux au travail. Nous sommes loin de la monographie d'artiste, et plus proche du relevé ethnographique, mais c'est bien plus riche que ce qu'on peut faire partager dans l'exposition.
** Voir l'article sur l'exposition bas les masques! pour laquelle les grandes têtes inspirées de masques ont été crées par James Robert Koko Bi